Quinze heures de garde à vue, à l'issue desquelles la justice a finalement prononcé une mise en examen : l'étau judiciaire semble se resserrer autour de l'ex-chef de l'Etat Nicolas Sarkozy, ce mercredi.

QUE LUI REPROCHE-T-ON ?

Les juges ont mis en examen Nicolas Sarkozy pour «recel de violation du secret de l'instruction», «trafic d'influence actif» et «corruption active». Il s’agit, pour une personne dépositaire de l'autorité publique, de solliciter ou d’accepter un avantage en échange d’un acte que lui permet sa fonction, ou en échange de son influence, «réelle ou supposée», sur une décision. Ou, pour un particulier, de faire cette proposition à une personne dépositaire de l’autorité publique.
En l'occurrence, la justice fait référence aux tentatives de Nicolas Sarkozy d'obtenir des informations sur des procédures judiciaires en cours, le tout en proposant un «marché» au haut magistrat Gilbert Azibert, à qui un coup de pouce pour l’obtention d’un poste prestigieux à Monaco est promis en échange des informations. Quand bien même le magistrat n'a pas obtenu le poste, c'est l'intention qui est punie par la loi.

QUE RISQUE-T-IL ?

Le trafic d’influence est réprimé par plusieurs articles du code pénal (432-11, 433-1, 433-2) avec des peines pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison et 500 000 euros d’amende. La corruption, elle, contient une sorte de «préméditation», c'est à dire qu'elle consiste en un arrangement préalable conclu entre les protagonistes. Elle est, elle, passible de dix ans d'emprisonnement, et jusqu'à 150 000 euros d'amende.
La justice peut alors décider de peines complémentaires, prévues par l'article 432-17 du Code pénal. Parmi ces peines figurent la déchéance des droits civils et civiques, ou encore l’interdiction d’exercer une fonction publique, ce qui pourrait entraîner l'inéligibilité de Nicolas Sarkozy.
Le recel de violation du secret de l'instruction est, lui, passible de cinq ans de prison et de 375 000 euros d'amende s'il est dit «simple», par opposition à un recel «habituel», passible de dix ans de prison et 750 000 euros d'amende.

EX-PRÉSIDENT, UN STATUT À PART ?

Le fait que Nicolas Sarkozy ait exercé la fonction de président de la République n’a pas d’impact dans ce dossier, car les faits qui lui sont reprochés sont survenus après la fin de son mandat. Il n’était donc plus protégé par l'«inviolabilité», qui protège le chef de l’Etat (jusqu’à un mois après la fin de son mandat) d’éventuelles poursuites pour des actes qui ne relèvent pas de l’exercice de ses fonctions. Il est donc considéré comme un citoyen ordinaire.

Y A-T-IL DES PRÉCÉDENTS ?

C’est la première fois qu’un ancien chef de l’Etat est entendu dans le cadre du régime de la garde à vue. Cette mesure est présentée dans la loi comme un moyen de«privation de liberté prise par un officier de police judiciaire pour maintenir à la disposition des enquêteurs le suspect d’un crime ou d’un délit. Cette mesure doit constituer l’unique moyen de parvenir à certains objectifs comme empêcher que la personne ne modifie les preuves, ne fuie ou ne consulte ses complices.»
En revanche, des mises en examen d'ex-présidents avaient déjà eu lieu. Nicolas Sarkozy lui-même avait été mis en examen en mars 2013 pour abus de faiblesse dans l’affaire Bettencourt, avant de bénéficier d’un non-lieu. Mais il avait été convoqué directement par les juges, sans passer par une garde à vue.
Un autre ancien chef d’Etat, Jacques Chirac, avait lui été condamné en 2011 dans l’affaire des emplois fictifs de la Ville de Paris, mais n’a jamais été placé en garde à vue.

COMMENT LA JUSTICE EN EST-ELLE ARRIVÉE LÀ ? 

Tout débute en avril 2013, alors que la justice enquête sur les soupçons de financement de la campagne présidentielle de 2007 par le régime libyen de Mouammar Kadhafi. Les juges financiers Serge Tournaire et René Grouman placent d'abord sur écoute des proches de l'ex-chef de l'Etat. Les conversations laissent à penser que ces derniers cherchent - en vain - à se renseigner sur les procédures judiciaires en cours. Cinq mois plus tard, c'est au tour de Sarkozy d'être mis sur écoute. 
Intrigués par ses conversations on ne peut plus laconiques, les enquêteurs s'aperçoivent qu'il communique en réalité avec son avocat, Me Thierry Herzog, par l'intermédiaire d'une ligne téléphonique parallèle, ouverte au nom de «Paul Bismuth». C'est via cette ligne que les deux hommes tentent d'obtenir des informations auprès d'un magistrat de la Cour de cassation, Me Gilbert Azibert.
En février, une information judiciaire est ouverte pour «trafic d'influence» et «violation du secret de l'instruction». Les juges sont en effet persuadés que Sarkozy a été averti qu'il était sur écoutes, ce qui serait contraire à l'article 11 du Code de procédure pénale, qui garantit le secret de l'instruction. Reste à identifier l'origine de la fuite. C'est dans le cadre de ces deux questions qu'a été décidée la mise en examen de Sarkozy pour «recel de violation du secret professionnel».  
Virginie BALLET